SAINT PAUL DENN

Dans le « petit paradis » de notre église Saint Pierre- saint Paul, il y a un modeste vitrail auquel on prête peu d’attention… Et pourtant, il suffit de lire l’inscription qui y est placée pour s’étonner : un saint a été baptisé dans notre paroisse ! Voici l’histoire d’un enfant de Wazemmes, voici SAINT PAUL DENN.

Le P. Paul Denn sj a été massacré avec son compagnon jésuite le P. Léon Mangin en 1900 au village de Wuyi en Chine, pendant la rébellion des “Boxers”, tandis qu’ils priaient tous les deux dans la chapelle de leur village alors que celui-ci était déjà tombé aux mains de l’ennemi. Les Boxers étaient une société secrète chinoise qui lança une persécution des catholiques en 1898. On estime à 30.000 le nombre de morts par cette persécution. Le 3 octobre 2000, étaient canonisés par Jean-Paul II à Rome cinquante-six martyrs morts en 1900, victimes de la révolte des “Boxers”.

 

Paul est un enfant du Nord, né à Wazemmes le 1er avril 1847 et baptisé à saint Pierre-saint Paul le 11 avril. Son père, qui est percepteur, meurt du choléra et sa mère doit élever seule ses cinq enfants. De tempérament impétueux, exubérant, il pense très jeune aux missions : “Quand je serai grand, j’irai en Chine et je baptiserai les petits Chinois.” En attendant, pour gagner sa vie, il est employé de banque, tout en étant très engagé dans des Œuvres de jeunesse, patronage ou association pieuse ; il en fonde même une, à vingt ans, avec quelques amis, pour les jeunes ouvriers et employés de Lille.

Mais il pense au sacerdoce. Comme il n’a pas fait d’études, il entre à la toute jeune Ecole apostolique d’Amiens et, à vingt-deux ans, il se met au latin : c’est le temps de la Guerre de 70 et de la Commune. Ayant justement reçu, un jour, des reliques des cinq jésuites victimes de la Commune, il les envoie à sa mère avec cette réflexion : “Voici cinq belles roses toute rouges de sang versé pour Jésus-Christ. Il y a un sixième médaillon qui est vide. Pourquoi ne serait-il pas pour moi ?”

Il entre enfin au noviciat Jésuite de Saint-Acheul en juillet 1872, et quelques semaines plus tard, il s’embarque pour la Chine. Il a 25 ans… C’est à nouveau des études, de chinois et de théologie, et en 1880 il est ordonné prêtre dans la Compagnie de Jésus et œuvre pour une vie de missionnaire exactement taillée pour lui : prêcher, catéchiser, recueillir des enfants abandonnés, visiter ses paroisses : de quoi remplir sa vie pour les 20 ans qui vont suivre.

Nous voici maintenant en juillet 1900… La Chine est alors en pleine guerre des boxers menée par les «  Poings de la justice et de la concorde », société secrète dont le symbole était un poing fermé, d’où le surnom de Boxers donné à ses membres en Occident. Ce mouvement, initialement opposé à la fois aux réformes, aux colons étrangers (leur influence technique et économique, mais aussi leurs activités missionnaires importantes) et au pouvoir féodal de la dynastie impériale, fut utilisé par l’impératrice douairière Cixi contre les seuls colons, conduisant à partir du 20 juin 1900 au siège des légations étrangères présentes à Pékin, l’épisode des « 55 jours de Pékin », qui s’acheva par la victoire occidentale. Venant après la guerre sino-japonaise de 1894-1895, perdue par la Chine, cette nouvelle défaite constitue un jalon supplémentaire dans le combat qui oppose conservatisme et colonialisme à réformisme et indépendance, dans la Chine du xixe siècle. Cet antagonisme se clôt par la chute de la dynastie Qing en 1912 et la création de la République de Chine.

C’est aux confins ouest de la Chine, dans la province du Shaanxi (limitrophe avec la Mongolie) qu’oeuvrent Paul Denn et son compagnon Jésuite Léon Magnin. Ce dernier, arrivé en Chine à l’âge de 29 ans, est responsable de la paroisse de Zhujiahe depuis très peu de temps (janvier 1900) La situation politique fait que, depuis son arrivée, le nombre d’habitants du village passe de 400 à 3.000 à cause de la menace d’attaques. Le jésuite français fortifie le village aussi bien qu’il le peut et établit des réserves de vivres. Il invite aussi son confrère le P. Paul Denn à quitter le village voisin où il se trouve et à le rejoindre à Zhujiahe. En effet, un mois auparavant, le 20 juin, au village de Ou-Y les Pères Rémi Isoré, né à Bambecque (région de Lille) le 22 juillet 1852, et Modeste Andlauer, né à Rosheim (région de Strasbourg) en 1847, ont été massacré et leurs têtes suspendues aux remparts de la ville. Ce jour-là cinquante-deux chrétiens chinois, qui ont entre 9 et 79 ans, trouvèrent la mort.

Les Boxers attaquent le village le 15 juillet 1900, mais les villageois les repoussent. Le lendemain ils attaquent de nouveau, mais sont de nouveau repoussés. Mais alors 2.000 soldats de l’armée impériale viennent interrompre leur marche en direction de Pékin pour renforcer les Boxers. Quand le P. Léon Mangin voit la dimension de l’armée qui attaque, il sait que le village est condamné. Quelques uns réussissent à s’enfuir pendant la nuit, mais les deux jésuites choisissent de rester avec leur troupeau.

Les attaquants construisent des tours pour escalader les barricades, et le matin du 20 juillet ils pénètrent dans le village. Les deux prêtres jésuites rassemblent les femmes et les enfants dans l’église et se mettent à prier avec eux, les préparant à ce qui les attend. Les quelques hommes qui sont encore en vie entrent en titubant dans l’église, peu avant que les Boxers ne brisent les portes et n’entrent dans l’église. Ils menacent alors les paroissiens. Ils leur donnent une dernière chance de vivre, à condition de renoncer à leur foi, mais seuls quelques uns renoncent… Les Boxers se mettent alors à tirer dans la foule. Le P. Paul Denn entonne le confiteor et le P. Léon Mangin prononce les paroles de l’absolution. Ces deux pères sont parmi les premier à être tués, et ensuite les attaquants tirent sur les chrétiens et achèvent de les massacrer à coups sabres, avant de mettre le feu au toit. Leurs ossements restent sur place jusqu’en 1901, quand on les rassemble, on les met dans des cercueils et on les enterre à l’emplacement même de la nouvelle église, construite au même endroit. Ce jour là 1370 catholiques sont massacrés.

Saint Paul Denn est fêté le 9 juillet

 

Dernière lettre du P. Paul Denn, à son neveu, M. Paul Duvocelle

Koutcheng, 20 juin 1900

Non, tant s’en faut, tout danger n’est pas encore passé. Au contraire la fureur des I Ho Kiuan ne fait que grandir tous les jours. Leurs succès que n’entravent nullement les Impériaux, par ordre secret impassibles spectateurs des pillages, incendies et massacres, augmentent leur audace. Ce que l’on prévoyait l’année dernière est arrivé : les bandes dispersées se sont groupées, et leur nombre défie désormais toute résistance.

A Pékin même, ils ont détruit déjà 4 temples protestants, et une belle Eglise catholique. Tout ce qui est Européen, même les marchandises, est détruit : c’est un mot d’ordre.

Les premières victimes seront évidemment les missionnaires dispersés chacun dans son district. Mais les pauvres talus en terre de la Résidence centrale où se trouvent nos oeuvres, (collège, Ecole de Vierges, Séminaire), seront un bien faible rempart contre l’irruption de ce fleuve Jaune. Aussi la vie de Monseigneur Bulté, des Supérieurs et autres Pères ou Frères de la Compagnie courent un sérieux danger.

On dit que les puissances Européennes vont faire la guerre à la Chine. Donc toutes les troupes impériales qui simulaient encore nous protéger, vont être rappelées. En dehors du théâtre de la guerre les bandits I Ho Kiuan auront beau jeu.

Adieu, priez et faites prier pour que le bon Dieu nous accorde la grâce du martyre.

Tout à vous en J.M.J. (= en Jésus Marie Joseph)

 

Dernière lettre de Léon-Ignace Mangin à sa famille

“Les événements qui se passent ici sont bien faits pour vous alarmer, aussi, je ne veux pas chercher à vous les dissimuler.

Le télégraphe a dû vous annoncer le massacre de deux de nos Pères à Ou-I, à six heures d’ici. Tout le nord de la mission est à feu et à sang ; chaque jour m’arrivent de malheureux fugitifs dont on a brûlé les maisons ; les morts sont nombreux et combien de disparus !

Si les secours humains nous manquent, il nous reste Dieu et notre confiance en lui. Nous sommes venus ici pour sa cause : nos établissements, toutes nos œuvres n’existent que pour le faire connaître et servir ce peuple. Permettra-t-il la perte de tant d’hommes et de tant de travaux ? Si oui, nous le bénirons quand même. Et ceux d’entre nous qui échapperont à la ruine ou ceux qui viendront nous remplacer recommenceront avec le même courage et la même confiance en Dieu.

Dans ce village, outre les cinq cents chrétiens qui l’habitent, nous avons au moins trois cents réfugiés. Nous faisons un rempart ; on achète force vivres, poudre et autres munitions en vue d’une attaque qui, humainement, ne peut pas ne pas avoir lieu. Nous nous défendrons tant que nous pourrons ; si Dieu ne nous donne pas la victoire, nous serons massacrés ou brûlés jusqu’au dernier. Que la volonté de Dieu soit faite ! Je fais le sacrifice de ma vie pour le salut des âmes et le bien de toute ma famille. Si vous apprenez ma mort, priez pour moi et remerciez Dieu du choix qu’il aura daigné faire de notre famille pour lui demander ce sacrifice.

Mes bien-aimés frères et sœurs, je vous remercie de l’affection que vous m’avez toujours témoignée.

Je vous demande pardon des peines que j’ai pu vous causer. Quoi qu’il vous arrive, demeurez bons et fidèles chrétiens, dignes de nos bien-aimés parents.

Je vous dis adieu, vous embrassant tous de tout cœur et vous bénissant tous au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Fiat ! Tout vôtre en Notre Seigneur.”

 

Source : Curie générale des jésuites à Rome

Initialement regroupé et édité par: leP. Tom Rochford sj

Traducteur: Guy Verhaegen

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