saint benoit-joseph labre, le saint marcheur
Marcher plus loin, toujours plus loin. Ne pas s’arrêter au coin des rieurs. Ne pas cacher son visage aux passants qui ricanent. Fouler les sentiers solitaires. Parcourir l’Europe à pied. Suivre la trace de son cœur qui n’a pas de cité permanente. Aller toujours plus haut, vers la Jérusalem céleste. Tel est ce pèlerin de Dieu, Benoît Labre, clochard en haillons, qui suit le soleil et les rivières, qui prie Jésus au rythme de ses pas, afin d’être saisi par lui au détour du pèlerinage terrestre.
L’ailleurs de Dieu
Benoît-Joseph Labre est né à Amettes, dans le diocèse d’Arras, le 26 mars 1748. Aîné d’une famille paysanne de quinze enfants, il est attiré très jeune par la vie monastique, manifestant un grand attrait pour la solitude et la prière. Il fait des études chez son oncle paternel, curé d’Érin. Après la mort de celui-ci, il passe chez son oncle maternel, vicaire de Conteville. Il prie des heures entières devant le Saint-Sacrement. Il pense devenir prêtre, mais son âme sensible est en proie aux scrupules. Il est conscient de sa fragilité. « Être prêtre est bien beau, dit-il, mais j’ai peur de me perdre en sauvant les autres. »
Il aspire à une vie plus parfaite en voulant d’abord être trappiste, mais devant l’opposition de sa famille, il y renonce. À dix-neuf ans, il se présente devant plusieurs monastères de chartreux. L’un ne prend pas de novice à cause d’un récent incendie, dans l’autre on le trouve trop jeune. Il est admis finalement à la Chartreuse de Montreuil-sur-Mer, mais ne reste pas longtemps à cause des problèmes de santé. Il se rend à pied à la Grande Trappe de Soligny; on le trouve encore trop jeune. Il essaie de nouveau à la Chartreuse de Montreuil, échec. Ça ne fonctionne pas non plus à la Trappe de Sept-Fons. On lui dit : « Dieu vous veut ailleurs ».
Ces nombreux revers dans la recherche de sa vocation nous rendent ce saint très sympathique. Que de personnes cherchent longtemps leur place dans une communauté religieuse ou ailleurs dans l’Église! Leur vocation est de ne pas en avoir, sinon être sur la croix avec Jésus. Ce va-et-vient entre la Trappe et la Chartreuse fera tout de même découvrir au jeune Benoît-Joseph l’endroit où Dieu le veut : sur la route. Voilà cet ailleurs désiré : vivre en errance comme si la vie était un long pèlerinage.
Le pèlerin mendiant
Son désir d’être moine, il le vivra donc comme un laïc itinérant. Celui que l’on renvoyait de partout trouvera refuge dans la rue. C’est en Italie que naîtra sa vocation de pèlerin mendiant. La route sera son cloître, son monastère sera intérieur, sa règle de vie sera la marche rythmée par la prière. Il ne cherchera plus de lieux où se fixer, sinon dans le Christ pauvre et humilié.
Le vagabond de Dieu entreprend un vaste pèlerinage à travers tous les lieux vénérés d’Europe. Lorette et Rome sont ses deux pèlerinages préférés. Il vit en solitaire, revêtu d’un habit déchiré qu’il ne changera jamais. Un hippie avant la lettre! Pour bagages, un chapelet à la main, un autre au cou, un crucifix sur la poitrine; sur les épaules, un petit sac contenant son Nouveau Testament, l’Imitation de Jésus Christ et le Bréviaire. Voilà ce qui s’appelle voyager léger.
En sept ans, Benoît-Joseph parcourt près de 30 000 kilomètres d’un sanctuaire à l’autre. Qu’il pleuve ou qu’il neige, rien le l’arrête. Il couche en plein air, mendie sa nourriture, aide les pauvres. Il délaisse les grandes routes pour emprunter les chemins de traverse, plus propices à la prière et à la contemplation. Il vit cette recommandation de Jésus : « N’emportez ni argent, ni sac, ni sandales, et ne vous attardez pas en salutations sur la route. Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : “Paix à cette maison” » (Lc 10, 4-5).
L’homme aux trois cœurs
Si l’Italie a adopté le « saint français », ce n’est pas le cas pour la France et d’autres pays où on le prend pour un fou. La pauvreté de ce saint vagabond remet en question un XVIIIe siècle plus versé vers le plaisir et le scepticisme. Moquerie des uns, émerveillement pour les prêtres qui le confessent, sa patience et son humilité sont d’un autre monde. Il en est toujours de même pour les disciples de Jésus qui prennent au sérieux cette parole du Maître : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mt 16, 24).
Le pèlerin passe les derniers mois de sa vie à Rome, trouvant refuge dans les ruines du Colisée. Un jour, il est trouvé évanoui sur les marches de l’église de la Madona dei Monti. Recueilli dans l’arrière-boutique d’un boucher, il meurt le Mercredi Saint, 16 avril 1783, à l’âge de 35 ans. Il est arrivé au but de son pèlerinage : « Dieu vous veut ailleurs. » Il est allé rejoindre les routards, les mendiants, les vagabonds, les sans-abri, qui nous précèdent dans le royaume des Cieux.
Dès l’annonce de sa mort, le peuple de Rome crie dans les rues : « Le saint est mort. » Vox populi, vox Dei. Les miracles se multiplieront sur son tombeau. Béatifié par Pie IX en 1860, il est canonisé par Léon XIII le 8 décembre 1881. Il a découvert de ville en ville l’infinie miséricorde de Dieu, car c’est l’amour qui l’a fait marcher. Sa vie et son message demeurent actuels en ce siècle où la quête de sens est si vive et où l’on redécouvre les vertus du pèlerinage à pied.
Le saint pèlerin affirmait que pour aimer Dieu convenablement il faut trois cœurs en un seul : un cœur de feu, un cœur de chair et un cœur de bronze. Un cœur de feu envers Dieu qui nous fait penser continuellement à Dieu, parler habituellement de lui, agir constamment pour lui. Un cœur de chair envers le prochain qui nous porte à l’aider dans ses besoins temporels par les aumônes et, plus encore, dans ses besoins spirituels par la parole consolatrice, l’exemple et la prière. Un cœur de bronze pour soi-même qui nous fait résister à tout repliement, égoïsme, inquiétude.
article in:
https://www.jacquesgauthier.com/blog/entry/16-avril-benoit-joseph-labre-le-saint-marcheur.html
Un complément, un témoignage.
Depuis la fermeture pour travaux de l’église Saint Pierre-saint Paul (juillet 2019), j’ai pris l’habitude de célébrer à Saint Benoit, rue des Postes. La modestie de cette église, son élégance simple, et la communion fraternelle que l’on y vit sont bien réelles. La présence des Compagnons de Saint Benoit également. Et à travers tout cela, c’est la figure même de Saint Benoit-Jospeh qui, peu à peu, m’a touchée. Au point de me renseigner, et de mon initiative de Web Master de ce site, de publier cet article et ce commentaire personnel, qui vous saurez pardonner.
Il ya quelques jours (début juillet 2020), j’ai été interpellé devant les halles de Wazemmes par l’un des très nombreux SDF du quartier. Son regard était dur comme l’acier, et son “nique ta mère” en réponse à mon refus de la pièce exigée disait toutes les violences reçues. J’aurai du faire demi-tour au lieu de passer mon chemin, et donner. La figure de Saint Benoit-Joseph qui s’est alors levée dans ma conscience ne fut pas moralisatrice ou culpabilisante. Mais la violence de cet homme croisé m’a fait comprendre la sainteté de Benoit-Joseph.
La rue détruit, la rue rend vulgaire, la rue est un combat ou bien souvent seule la violence permet de survivre. J’en suis aujourd’hui persuadé, dans la Rome de 1783, cet homme à marqué une différence radicale, qui n’échappait à personne: la violence propre à la rue lui était complètement étrangère – et les rues de la Rome d’alors étaient certainement bien pires que notre place du Marché. Voilà aussi certainement qui était Benoit-Joseph. La dureté et les épreuves de sa vie, qui furent grandes, ne l’on jamais fait basculer dans la violence. Sa sainteté est là, dans cette manière silencieuse qui fut sienne, d’être, par sa seule présence, par son être même jamais souillé, un artisan de Paix. Simple. Intense.
Denis
Histoire des représentations de Saint Benoit-Joseph
Deux artistes l’ont représenté de son vivant, la mode étant de prendre un modèle parmi les mendiants : le sculpteur et peintre lyonnais André Bley, pour une tête du Christ en 1777, qui servit de modèle pour les gravures (musée franciscain de la Via Piemonte, Rome) puis le peintre Antonio Cavallucci, qui l’aurait peint à son insu (vers 1795, Museum of Fine Arts, Boston) et inspirera le gisant de l’église Sainte-Marie-des-Monts.
Dans les dernières années de sa vie à Rome, Benoît Labre a souvent fréquenté l’église Sainte-Marie-des-Monts et y a prié longuement. Le mercredi-saint 16 avril 1783, Benoît s’y rend très tôt le matin. Au milieu de la matinée, pris d’un malaise, il quitte l’église et s’effondre sur les marches du perron. En fin de journée, vers 19h00, il décède dans la maison du boucher François Zaccarelli. Devant l’afflux des personnes de toutes conditions qui veulent voir et toucher la dépouille du saint pèlerin, il est décidé de la transporter dans l’église Sainte-Marie-des-Monts. «Durant la nuit du samedi-saint au dimanche de Pâques, en vue de la sépulture de Benoît, les maçons creusèrent devant la balustrade du maître-autel, du côté de l’épître, une excavation pour y placer le cercueil du serviteur de Dieu»