La fresque de Benoît Labre, saint patron des sans- abri.

Dans le quartier populaire de Wazemmes, à Lille, une église modeste dédiée à saint Benoît-Joseph Labre, datant de 1889. Dans le choeur, des décors peints dans les années 1930-1940 par l’abbé Pruvost, prêtre artiste du diocèse, avaient été recouverts de peinture en 1967. Hormis un seul, ils n’ont pu être récupérés. Un projet a donc été lancé en 2015 par Pierre Samain, le curé, avec la commission diocésaine d’art sacré, pour rénover les lieux et s’est achevé en 2017. Philomène Zeltz, peintre et sculptrice, a réalisé une peinture murale dans le fond du choeur. Très attentive aux souhaits de la paroisse, elle a rencontré les gens, a prié avec eux, est allée jusqu’à dormir dans l’église pour s’imprégner du lieu.

L’oeuvre se décompose nettement en trois ensembles contrastés du point de vue des couleurs et des formes. Au centre et surplombant la scène, et même l’assemblée tout entière, se détache un Christ glorieux qui rappelle le langage des icônes. Philomène Zeltz, après de nombreuses recherches, s’est naturellement inspirée d’Andreï Roublev pour représenter Jésus bénissant et enseignant : il nous dit qui il est, « le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14, 6). Autour de lui sont représentés les évangélistes. Le Christ irradiant se détache sur un fond de couleurs et de formes très franches, une mandorle bleue symbolisant le ciel, et un losange rouge symbolisant la terre. Du ciel à la terre, une cataracte de lumière fond sur le tabernacle, enveloppant le lieu de la présence eucharistique du Christ. Mais aussi, de la terre au ciel, nous sommes attirés, aspirés, invités à nous élever jusqu’à celui que nous verrons quand nos yeux, fermés à la lumière d’ici-bas, s’ouvriront à sa présence, lui qui est la Lumière du monde.

À ses pieds, un peu décentré et traité en grisaille sur un dégradé qui passe du blanc au gris, pour signifier le passage du monde divin à notre humanité, saint Benoît Labre (1748-1783) agenouillé lève les yeux vers le Christ. Son bâton de pèlerin rappelle sa longue marche à la suite de Jésus, depuis Amettes, son village natal (Pas-de-Calais), jusqu’à Rome. Il avait frappé à la porte de plusieurs monastères, désirant atteindre la perfection au moyen de la prière et de la pauvreté. N’étant reçu nulle part, ne pouvant se fixer en un lieu, il a passé sa vie sur la terre à chercher le chemin du ciel, consacrant chaque heure du jour à la contemplation, les yeux fixés sur l’invisible. Le ciel, en effet, n’est pas seulement pour demain. C’est le message que s’efforcent de recueillir les Compagnons de saint Benoît Labre.

Ces derniers sont situés, justement, de part et d’autre de la composition et forment le troisième ensemble constitutif de l’oeuvre. Une autre peinture murale représentant 19 personnes, tous des paroissiens engagés au service des plus pauvres et des sans-abri : prêtres, diacres, laïcs, hommes et femmes, adultes et même un enfant. Ce sont les Compagnons de saint Benoît Labre, que Philomène Zeltz a d’abord pris le temps de filmer, avant de reproduire, le mieux possible et avec réalisme, la posture de prière propre à chacun. Certains ont les yeux levés vers le Christ glorieux, d’autres regardent le tabernacle, d’autres enfin ont les yeux clos dans un face-à-face tout intérieur avec Jésus.

Trouver Jésus dans la prière, c’est déjà goûter quelque chose du ciel. Et c’est pourquoi chaque visage est inondé de lumière. À leur tour, les Compagnons la diffusent dans leurs quartiers. Le ciel n’est pas pour eux uniquement un ailleurs et un avenir, mais il se trouve aussi dans leur existence présente, au coeur des rencontres avec les personnes SDF. « Je suis le chemin, la vérité et la vie » : cette parole inscrite sur le livre ouvert donne le sens de ce que nous vivons sur terre : dès maintenant servir Jésus en la personne des humbles et des humiliés, pour le trouver encore sur le chemin qui se poursuit au-delà du dernier jour de notre vie. À l’image de saint Benoît Labre, le patron des sans-abri, nous sommes tous appelés à la sainteté. La vie éternelle est déjà commencée.

Anne da Rocha Carneiro, responsable de la Commission diocésaine d’art sacré de Lille.

Article publié dans La Vie le 31 octobre 2019

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