CAREME 2020

MERCREDI DES CENDRES

 

HOMELIE

Mercredi des Cendres, avec toute l’Eglise nous entrons en Carême. Une belle aventure spirituelle, une démarche, un chemin… un itinéraire intérieur…. Une marche où nous sommes invités, appelés à développer notre vocation de “disciples missionnaires”, à vivre davantage trois dimensions, à vivre davantage trois appels qui découlent de notre vocation de “disciples missionnaires”, à développer notre attachement au Christ, à vérifier la primauté de l’Evangile dans notre vie.

Trois dimensions, trois appels. Le premier : la prière. Le second le jeûne. Le troisième : le partage. Et surtout à croiser, à tisser ces 3 appels, ces 3 dimensions. Appelés à prier, appelés à jeuner, appelés au partage……pour nous tourner davantage vers Dieu et vers nos frères, tous nos frères, le semblable et le dissemblable.
 Oui l’Eglise nous propose d’emprunter ces trois chemins, ces trois appels, ces trois dimensions, et de les croiser.

Prier: stimuler, renouveler notre relation à Dieu…..et que cette relation soit habitée des histoires des personnes que nous rencontrons, de leurs joies, de leurs peines, de leurs tristesses, de leur angoisses.

Jeûner: nous libérer de tout ce qui pourrait nous encombrer, nous individualiser….creuser en nous la faim de Dieu, la faim de l’autre, la faim de la rencontre, de l’amitié, la faim de la fraternité. Expérimenter dans notre chair, le quotidien de tant d’hommes, de femmes, d’enfants et de jeunes qui ne mangent pas à leur faim ici et là-bas. Pensons à certains pays, pensons aux étudiants venus d’ailleurs aux migrants….

Partage: une dimension constitutive de la foi en Jésus Christ Le Christ qui est venu partager notre condition humaine. Oui : “la charité nous presse”

Mais avant de nous mettre en route, en chemin, avant de commencer cet itinéraire intérieur il serait bon je crois de discerner ce qui a alourdi notre marche, notre chemin depuis Pâques dernier et ce dont nous voudrions nous délester pour mieux aimer. Nous recentrer sur le Christ et son Evangile…afin que notre marche personnelle et communautaire soit vraiment une marche pascale….AUJOURD’HUI.

3ème DIMANCHE DE CARÊME

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (4, 5–42)

En ce temps-là, Jésus arriva à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph. Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi. Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire »

En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter des provisions. La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains.

Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »

Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »

Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. »  

La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. »

Jésus lui dit : « Va, appelle ton mari, et reviens. »

La femme répliqua : « Je n’ai pas de mari. »

Jésus reprit : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari : des maris, tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; là, tu dis vrai. »

La femme lui dit : « Seigneur, je vois que tu es un prophète !… Eh bien ! Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. »

 Jésus lui dit : « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer.»

La femme lui dit : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. »

Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »

 À ce moment-là, ses disciples arrivèrent ; ils étaient surpris de le voir parler avec une femme. Pourtant, aucun ne lui dit : « Que cherches-tu ? » ou bien : « Pourquoi parles-tu avec elle ? » La femme, laissant là sa cruche, revint à la ville et dit aux gens : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? »  

Ils sortirent de la ville, et ils se dirigeaient vers lui. Entre-temps, les disciples l’appelaient : « Rabbi, viens manger. » Mais il répondit : « Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas. »

Les disciples se disaient entre eux : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger? » Jésus leur dit : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. Ne dites-vous pas : “Encore quatre mois et ce sera la moisson” ? Et moi, je vous dis : Levez les yeux et regardez les champs déjà dorés pour la moisson. Dès maintenant, le moissonneur reçoit son salaire : il récolte du fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit en même temps que le moissonneur. Il est bien vrai, le dicton : “L’un sème, l’autre moissonne.” Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucun effort ; d’autres ont fait l’effort, et vous en avez bénéficié. »

 Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus, à cause de la parole de la femme qui rendait ce témoignage : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. » Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui, ils l’invitèrent à demeurer chez eux. Il y demeura deux jours. Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de sa parole à lui, et ils disaient à la femme : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons : nous-mêmes, nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »

 

HOMELIE

La liturgie de la Parole  de Dieu de ce 3ème dimanche de Carême et de la célébration du 1er Scrutin pour les futurs baptisés de la nuit de Pâques: Anne, Cédy, Larissa, et Célys nous donnent de contempler ce dialogue, cet échange entre une femme et Jésus.  « Les juifs …..n’ont pas de relations avec les Samaritains » car ce peuple est considéré impur et hérétique.

Cependant, Jésus, s’arrête là, au bord de ce puits, assoiffé et il n’hésite pas à engager la conversation avec cette femme de Samarie venue puiser de l’eau. « Comment! Toi qui es juif, tu me demandes à boire à moi, qui suis une femme, une samaritaine? »

Quelle liberté! C’est un homme libre de la liberté même de Dieu….

Mais de quoi est-il assoiffé?

De la rencontre …

Jésus, cet assoiffé de la rencontre avec chaque personne, il désire d’un si grand désir entrer en dialogue, en conversation avec chacun….avec Anne, Cedy, Larissa et Célys …comme avec chacun de nous…. Pour faire de chacun de nous des familiers, des intimes de son Père, qui est notre Père par Lui, en Lui et pour Lui.

Jésus un homme fatigué par la marche, la Samaritaine va découvrir sa divinité. En puisant de l’eau pour Jésus, c’est à la Source de l’Amour qu’elle va puiser. Ce puits est ainsi représenté directement lié à Jésus; l’assoiffé est Celui-là même qui peut combler une soif combien plus profonde présente au coeur de cette femme: « Seigneur, donne-moi de cette eau afin que je n’aie plus jamais soif… » C’est aussi notre désir….

Seule la Source de l’Amour peut désaltérer une soif… d’amour: » Comme languit une biche auprès des eaux vives, ainsi languit mon âme vers Toi, mon Dieu. » (psaume 42 verset 2)

Cette scène, cette rencontre, ce dialogue avec la Samaritaine, nous montre Jésus, mendiant de notre amour, livrons-nous à Lui sans réserve et buvons à la Source de la Vie Eternelle.

AMEN

4ème DIMANCHE DE CARÊME

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 9. 1-41)

En ce temps-là, en sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? »

Jésus répondit :« Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui.  Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour ; la nuit vient où personne ne pourra plus y travailler. Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » Cela dit, il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle, et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » – ce nom se traduit : Envoyé.

L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait. Ses voisins, et ceux qui l’avaient observé auparavant – car il était mendiant – dirent alors : « N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? » Les uns disaient : « C’est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. » Mais lui disait :« C’est bien moi. » Et on lui demandait : « Alors, comment tes yeux se sont-ils ouverts ? » Il répondit : « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il me l’a appliquée sur les yeux et il m’a dit : ‘Va à Siloé et lave-toi.’ J’y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j’ai vu. » Ils lui dirent : « Et lui, où est-il ? » Il répondit : « Je ne sais pas. »

On l’amène aux pharisiens, lui, l’ancien aveugle. Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir. Il leur répondit : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. »

Parmi les pharisiens, certains disaient : « Cet homme-là n’est pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. » D’autres disaient :« Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? » Ainsi donc ils étaient divisés. Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu’il t’a ouvert les yeux ? » Il dit : « C’est un prophète. »

Or, les Juifs ne voulaient pas croire que cet homme avait été aveugle et que maintenant il pouvait voir. C’est pourquoi ils convoquèrent ses parents et leur demandèrent : « Cet homme est bien votre fils, et vous dites qu’il est né aveugle ? Comment se fait-il qu’à présent il voie ? »  Les parents répondirent : « Nous savons bien que c’est notre fils, et qu’il est né aveugle. Mais comment peut-il voir maintenant, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer. » Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet, ceux-ci s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ. Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! »

Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l’homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. » Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien. Mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle, et à présent je vois. »

Ils lui dirent alors : « Comment a-t-il fait pour t’ouvrir les yeux ? » Il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit, et vous n’avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre encore une fois ? Serait-ce que vous voulez, vous aussi, devenir ses disciples ? » Ils se mirent à l’injurier : « C’est toi qui es son disciple ; nous, c’est de Moïse que nous sommes les disciples. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-là, nous ne savons pas d’où il est. »

L’homme leur répondit : « Voilà bien ce qui est étonnant ! Vous ne savez pas d’où il est, et pourtant il m’a ouvert les yeux. Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce. Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » Ils répliquèrent : « Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors.

Jésus apprit qu’ils l’avaient jeté dehors. Il le retrouva et lui dit : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »

Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. »

Il dit : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui.

Jésus dit alors : « Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. »

Parmi les pharisiens, ceux qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous aveugles, nous aussi ? » Jésus leur répondit : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : ‘Nous voyons, votre péché demeure. »

 

MEDITATION (par le Père Jacques Leclerc du Sablon)

Jean 9, 1-7

« En sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme qui était aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogèrent : « Rabbi, pourquoi cet homme est-il né aveugle ? Est-ce lui qui a péché, ou bien ses parents ? » Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents. Mais l’action de Dieu devait se manifester en lui. Il nous faut réaliser l’action de celui qui m’a envoyé, pendant qu’il fait encore jour ; déjà la nuit approche, et personne ne pourra plus agir. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde ». Cela dit, il cracha sur le sol et, avec la salive, il fit de la boue qu’il appliqua sur les yeux de l’aveugle et il lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » (ce nom signifie : Envoyé). L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait. »

Cette histoire de l’aveugle-né est une page d’école d’apôtre, d’école de mission.

 L’Église appelle et envoie tous les baptisés, laïcs, religieux, prêtres et diacres. La mission appartient au battement du cœur croyant !

 Pourtant tous les cœurs ne battent pas ainsi parce que, répétons-le, les mots mission et envoi sont lourds des ambiguïtés et marqués par les errances de l’Église tentée par la conquête, la puissance et le pouvoir. C’est un fait d’orgueil qui a donné à la confession de foi en l’unicité du salut en Jésus-Christ une expression en forme d’exclusion méprisante, impatiente ou condamnant. Aujourd’hui la globalisation engendre la peur du relativisme qui risque de se réduire en communautarisme. La modernité développe aussi une culture positive de l’altérité et du vivre ensemble dans la différence. La France de la laïcité a induit ces valeurs dans l’esprit des catholiques, mais générant aussi une méfiance vis-à-vis du prosélytisme, du risque de « guerre sainte ». Le fondamentalisme religieux attise cette méfiance.

 Il est alors fréquent de rencontrer parmi les baptisés une prudence, un malaise, voire un refus de ces deux mots, envoi et mission. L’enthousiasme excessif et naïf que l’on peut rencontrer au sein de groupes d’Église se traduit parfois par des comportements et méthodes dits missionnaires ou d’évangélisation qui interrogent celles et ceux qui ont fondé leur sens missionnaire dans la foulée de Vatican II. Ils ne s’y reconnaissent pas et résistent d’autant plus à être identifiés comme missionnaires. « Explicite » et « implicite » de l’annonce  de la Bonne Nouvelle, ou encore « évangélisation exubérante » et « évangélisation enfouissante » se caricaturent l’une l’autre et clivent l’Église. Pour le moins, une interrogation jaillit, à double détente : « Seigneur, pour quoi tu nous envoies ? » et « Pourquoi nous envoies-tu ? ». C’est qu’en fait, il est difficile, après tant de turbulences historiques, de savoir encore ce que ces mots veulent dire.

 Cette page d’Évangile de l’aveugle-né est alors éclairante.

Ce qui attire l’attention est la parenthèse après la mention de la piscine de Siloé : « ce nom signifie : Envoyé ».

 Celui qui y est envoyé n’est pas l’un des Douze, ni le disciple aimé, ni l’un des fidèles de la première heure qui a eu le temps de faire sa ‘théologie de la mission’ en marchant avec Jésus. Non, c’est un aveugle, qui plus est  de naissance, c’est-à-dire a priori quelqu’un qui n’a jamais rien vu, comme on dit ! Il n’est pas de ceux qui sont envoyés pour témoigner de ce qu’ils ont vu.

 Il est de ceux qui sont envoyés pour voir. Son envoi c’est le recouvrement de sa vue et l’écarquillement de ses yeux, après un long temps de cécité.

Il y aurait alors dans la mission et dans l’envoi à la fois le témoignage et l’annonce de ce qui a été reçu et confié, disons l’Évangile et le kérygme, et aussi la mission d’aller voir. « Pourquoi tu nous envoies ? » semblent dire les baptisés qui cherchent à comprendre : tout à la fois pour donner à voir et pour voir. On remarque que Jésus confirme que ce recouvrement de la vue est bien dans l’ordre de la révélation : « L’action de Dieu devait se manifester en lui.»

 Voir quoi ? Au long de mon chemin dans la bande d’apôtres, la réponse à cette question a renversé toutes les craintes qui poussent légitimement à se méfier du mot mission et donc à ne pas se prêter facilement à un « envoi » missionnaire, fût-il au nom de la foi, peut-être encore moins au nom de l’Église !

Ma vie de prêtre apôtre s’est déroulée surtout au milieu de non-chrétiens. En vivant avec eux, je crois que j’ai été baigné dans l’eau de Siloé, je me suis lavé les yeux à l’eau de Siloé, c’est-à-dire que j’ai pu voir parce que j’ai laissé, par désir, par vocation et par envoi, la salive de la bouche qui parle devenir la salive de la boue qui guérit l’aveugle en moi. Siloé est un fonts baptismal missionnaire.

J’ai alors vu ce qu’on m’avait transmis : j’ai vu l’icône de Dieu en toute femme et tout homme. J’ai vu de la foi de centurion en vivant avec eux. J’ai vu des buissons brûler sans consumer, à l’écart de ma route. C’est dans ce détour que Moïse est appelé, qu’il grandit dans la foi  en Dieu en la reliant à l’enjeu du salut pour le peuple et qu’enfin il est envoyé en mission.

 Revenons à l’Église, dans ses formes les plus concrètes de diocèses, de paroisses, de communautés, de ‘parvis’ ou de mouvements. Et si sa difficulté tenait à ce qu’elle est aussi traversée par une compréhension affaiblie de ce qu’est un appel et un envoi en mission, une compréhension gênée du mot mission ?

Il n’y a pas d’une part ceux qui savent ce qu’il faut donner à voir – l’Évangile, le kérygme – et sont partants pour l’envoi en mission, et d’autre part ceux qui n’ont pas vocation à « sortir du temple » (Nombres 11, 28). Non ! Il faut être envoyé à Siloé et ainsi recouvrer la vue et vivre la mission. Matthieu dit cela : « Quand Seigneur t’avons-nous vu … ? ». Il faut être envoyé à Siloé comme des prêtres, recouvrant ainsi la vue pour l’Église et lui donnant de voir pour donner à voir. Je crois vraiment que cette figure de l’envoi, dans sa radicalité, n’est pas réservée aux prêtres ou aux religieux. Des baptisés laïcs sont aussi appelés à cela.

Il est difficile pour une Église diocésaine, comme institution, de faire le détour par Siloé, c’est-à-dire d’accepter de se laisser laver les yeux et de les ouvrir sur la réalité « hors les murs » et d’en tirer les conséquences dans des appels et des envois ailleurs et autrement que ce qu’elle fait dans sa pastorale habituelle.

Et si, dans l’Église, les écoles, les séminaires, les centres de formation où l’on forme à la mission, à la vie d’apôtre s’appelaient « Siloé » ?

5ème DIMANCHE DE CARÊME

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 11, 3-45)

En ce temps-là, Marthe et Marie, les deux sœurs de Lazare, envoyèrent dire à Jésus :« Seigneur, celui que tu aimes est malade. »

En apprenant cela, Jésus dit : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. » Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait. Puis, après cela, il dit aux disciples : « Revenons en Judée. »

À son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà. Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison. Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. »

Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. »

Marthe reprit : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. »

Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »

Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »

Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé, et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. » Alors Jésus se mit à pleurer. Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! » Mais certains d’entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »

Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau. C’était une grotte fermée par une pierre. Jésus dit : « Enlevez la pierre. » Marthe, la sœur du défunt, lui dit : « Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là. » Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. »

On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. » Après cela, il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! »

Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. »   Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui.

 

HOMELIE

« Plusieurs juifs venus chez Marie, qui avaient vu ce qu’il avait fait, crurent en lui. « Je pense à toute les familles qui connaissent un deuil en cette période et des conditions difficiles pour faire leur travail de deuil….. Je pense tout particulièrement à la maman de Julie 16ans décédée du coronavirus : » On n’aura jamais de réponse. » « C’est invivable ».

Pourquoi la tristesse et la stupeur pèsent-elles aussi lourdement sur ce passage qui anticipe la Résurrection Glorieuse de Jésus? Nous aurions pu espérer de la part de l’Evangéliste un récit qui serait comme une avant première de la résurrection finale, que Saint Paul nous la décrit dans ce passage de la lettre aux Romains: » Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. »

Cet Evangile ne parle pas tellement de la résurrection des morts, mais de la résurrection des vivants. Il va plus s’agir de la résurrection de Marthe qui est encore vivante que de celle de Lazare qui est déjà mort. Nous découvrons que pour Jésus la frontière entre la vie et la mort ne se situe pas là où nous la mettons habituellement.

Jésus se trouve confronté avec la mort d’un ami qui lui est cher, dans ce contexte de chagrin et de tristesse ont force de loi. Même Jésus n’échappe pas à l’émotion. Il pleure. Ce qu’il a à dire et ce qu’il va faire n’auront aucune valeur s’il ne partage pas d’abord les émotions de ses amis. Plutôt que de donner des indications sur les merveilles de l’au-delà, Jésus rejoint ses amies dans leur désarroi qu’il partage avec elles.
Pour les secourir Jésus entre en communion avec elles. La présence de Jésus se manifeste d’abord par le partage et l’écoute. Il partage le chagrin de ses amies sans pourtant se laisser dominer par lui. C’est ainsi que Jésus entre dans nos propres vies, et qu’il partage nos soucis. Il souffre de nos souffrances et pelure de notre chagrin pour pouvoir les faire évoluer afin qu’ils prennent une autre dimension. Ici, il va s’agir de faire sortir ses amies du chagrin de la mort pour entrer dans l’éblouissement de la résurrection sans pour cela heurter leurs sensibilités blessées par la rupture qu’a créée cette mort brutale.

Quelle délicatesse chez Jésus, il entre dans le chagrin de ses amies sans se laisser prendre par la mort. Les deux femmes sont cloitrées dans leur deuil et dan le respect de leurs chagrins, nous pouvons les comprendre. C’est bien souvent ce qui se passe quand nous sommes amenés à participer au deuil d’une famille… Nos paroles sont vaines… pauvres…

Jésus sait tout cela c’est pourquoi il n’entre pas dans ce lieu de mort, il reste à l’extérieur du village là ou peut-être il y a encore de la vie et de l’espoir. Il ne parle pas. Il attend. Marthe sort de la maison, elle sort de son deuil pour venir à lui, elle se met en mouvement, et déjà elle entre dans u n processus de vie. Elle sort du lieu de la mort pour aller cers l’Espérance.

Elle va vers Jésus et quelque chose se passe. Mais difficile de décrire ce qui se passe. Ils échangent des paroles de convention sur la mort et la résurrection mais parce que Marthe est sortie de chez elle, parce qu’elle a suivi le mouvement de son désir les paroles échangées avec Jésus se revêtent d’une force nouvelle. Elle découvre que la résurrection n’est pas un futur lointain. La résurrection est là où se situe Jésus…

Et c’est vers sa soeur qu’elle se tourne pour qu’elles partagent ensemble cette nouvelle forme de vie qui dépasse la mort…. C’est une Marthe transformée qui court vers Marie. Elle devient missionnaire de la bonne nouvelle qui est en elle et qu’elle ne sait pas décrire encore…. C’est alors avec tendresse, Jésus peut les revêtir de résurrection. Elles changent…parce que Jésus par sa seule présence a permis que s’accomplisse en elles le vrai miracle de la résurrection…

Ce vrai miracle est celui que Jésus nous réserve à chacune et à chacun de nous. Il nous apprend que sans doute nous nous croyons vivants mais qu’en fait nous ne le sommes pas vraiment ou totalement…ces événements que nous connaissons nous rendent davantage vivants… davantage aimants… davantage fraternels.. Jésus donne à nos vies une dimension nouvelle. Il nous donne à nous une mission comme Marthe a du courir pour retrouver Marie…. devenons disciples-missionnaires de la bonne nouvelle à notre tour libérons ceux et celles qui sont enfermés dans leurs peurs, leurs doutes ….

AMEN

 

 

illustrations: compositions de Pier-André pour les dimanches de Carême à St Benoit Labre

 

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